pour
ensuite apprendre à
faire. La maîtrise d'un logiciel, aussi complexe qu'il soit
ne nous donne ni le savoir, ni
l'expérience, ni la compétence que réclament
la réalisation d'un livre, la conception d'une
affiche, ou de tout autre imprimé.
Le
même problème se pose pour la typographie au plomb mobile.
Composer un mot, une ligne,
deux, trois... puis une page, est à la portée de tout débutant.
Entrer dans
le livre, composer
lettre à lettre un texte en modulant en orientant
ce qui doit l'être (blancs, espacements,
corps, graisse, etc.) et conduire le livre à son terme, sans le
surcharger, c'est
déjà faire preuve d'un certain savoir.
Dans
une autre étape, mettre en scène un texte et le faire chanter
c'est prendre en
compte
divers paramètres subtils et sensibles qui échappent à
la mathématique d'une
esthétique
convenue à l'avance. Cela s'appelle la compétence
- que le typographe
acquiert tout au
long des jours par l'expérience des divers travaux qu'il
a été amené à réaliser. Le
fondement de cette compétence est une capacité
de raisonnement forgée à partir de
ces expériences vécues dans le passé pour résoudre
plus efficacement les
difficultés
qui se posent à lui à un moment donné.
Quelle
que soit l'activité à laquelle l'homme se livre, cette compétence
s'enrichit
chaque jour par
l'apport de nouvelles bribes de connaissances, et cela tout au long de
sa
vie professionnelle.
Le
jour où le compositeur-typographe accède à l'état
de compétence, le lettre-à-lettre
de la compo manuelle
se fait machinalement, sans effort, alors que simultanément,
l'esprit libéré
assiste dans le composteur à la genèse de chaque mot. Un
point... un
trait... la lettre...
les préfixes... suffixes... particules...les emprunts aux langues
mères...
etc. Un mot vient de naître... le deuxième mot... le troisième...
un sens
apparaît déjà...
modifié par le mot suivant... jusqu'à l'élément
final et le sens voulu
par l'auteur. Dans
cet authentique voyage initiatique, le typo croise à un moment
donné l'auteur
et son destin et ils voguent ainsi de concert comme sur un nuage.
Les
constructions d'apparence
complexe deviennent limpides. Le typo partage alors les
hésitations,
les états d'âme, les regrets et les aspirations de l'auteur.
Le mot au bout
de la plume disparu
tout à coup et remplacé par une béquille... le téléphone
qui sonne,
la fougue, la transe,
les pirouettes et la lassitude aussi... autant d'éléments
dévoilés
dans le secret et
l'intimité du lettre-à-lettre.
Il
est arrivé au typographe, emporté par le courant d'un poème
d'apparence obscure de
changer
involontairement un mot à lui imposé malgré la copie...
et conservé par
l'auteur !...
Dans ce poème et pour l'éternité l'amour désormais
sourd. Cette symbiose
ne se fait pas sur
commande. Elle requiert de la part du compositeur-typo la faculté
de
s'oublier,
de mettre en sourdine ses propres aspirations à lui dévoilées
par ce texte qu'il
découvre,
et de le faire sien... A ce moment-là seulement il voyagera
côte-à-côte avec
l'auteur dans une
intime réciprocité où celui des deux qui triche à
le nez qui rougit.
Lorsque
le typo compose ainsi ses propres textes, le même voyage recommence...
Il
redécouvre
ses écrits comme s'ils lui étaient inconnus. Et si le téléphone
a sonné et
qu'une béquille
a remplacé le mot envolé avec la sonnerie, il n'est pas
rare qu'à ce moment-là le mot rétif, égaré
et vainement recherché, ne vienne s'imposer de lui-même
dans le composteur.
Il me semble...
j'aime à penser... je revendique cette foi... que dans ces instants-là
le
typo accède
pour quelques moments privilégiés à cet espace mystérieux
où puise tout
créateur.
Espace clos mais sans limites - abri du Grand Secret, qu'aucune science
humaine - jamais
! - ne pourra démontrer. Seuls l'artiste et le poète en
ont l'intuition.
|