Observation
sur les entretiens
(...)
Univers
partagé entre les artisans et l'enquêteur
Avec François
Da Ros et Martine Rassineux, le quatrième entretien, cette obsession
de la compréhension des
" pratiques concrètes " est en retrait. La raison de ce recul, est
certainement à trouver dans la proximité relative des univers ;
entre le mien, rattaché à un passé " arts graphiques ", et le leur
en tant qu'artistes et imprimeurs. Comme je le signale dans la présentation
de cette rencontre, le fait que la conversation permette, à plusieurs
reprises, l'expression d'un certain nombres d'allant de soi me préserve
de toutes recherche de représentations extérieures aux discours.
De plus, avec la typographie au plomb mobile selon Da Ros, l'Anakatabasien
et les productions des éditions Anakatabase, je suis au contact
d'un univers pour lequel je ne cache pas ma fascination. Je touche
un système, dont la logique interne m'est accessible et qui me semble
faire la démonstration d'une cohérence impeccable, d'un aboutissement,
si ce n'est une fusion entre une pratique technique et une dimension
créative. À aucun moment, lorsque François Da Ros ou Martine Rassineux
m'évoquent leurs réflexions d'ordre esthétique ou philosophique
je leur demande quelque chose qui ressemble à ça
: " Mais
de façon très pratique, quand vous êtes devant votre machine, avec un livre
à imprimer, êtes-vous dans un état d'esprit du même ordre ? C'est à dire,
à un niveau en-dessous, de façon très matérielle autour des objets, des outils,
des pièces ?
" Cette
question, à peu de chose près, correspond pourtant à ce que j'ai demandé à
Bernard Pin, lors mon cinquième et dernier entretien (page 230). Une deuxième
précision d'ordre méthodologique s'impose. D'un caractère tout aussi trivial
que la précédente : non seulement il faut prendre en compte la place occupée
par l'interlocuteur dans une trajectoire personnelle au moment où il parle,
mais en plus il importe d'identifier la nature de l'univers commun existant
entre lui et moi, de mon état de membre qui fasse sens avec lui, en tant que
participant à cet entretien. Sachant que selon l'importance de cet univers
partagé, découleront des matériaux d'étude de nature différente et que, là
encore, il ne s'agit pas de placer ces matériaux sur une échelle de valeur.
Enfin, le fait de souligner l'importance de l'état de membres entre observateur
et artisans m'amène également à m'interroger sur ce qu'il en est des artisans
entre eux. Il serait bien prématuré d'avancer une quelconque hypothèse à ce
sujet ; contentons-nous pour l'instant de souligner le fait que l'étude concerne
un groupe de personnes constitué uniquement à partir d'une logique de terrain
: les cinq personnes ne se fréquentent pas entre elles ; ce qui, a priori,
n'induit aucune conséquence quant au fait qu'elles partagent ou non un univers
commun. Tout juste fallait-il, à un moment donné, le préciser. Telles sont,
à mon sens, les conditions minimum qui, dans cette recherche, permettront
de rétablir - si ce n'est une certaine forme d'objectivité - au minimum, une
volonté de transparence par une tentative d'identification des outils d'observation
du terrain.
Les
Éditions Anakatabase
Positionnement
vis à vis d'une trajectoire personnelle
Pour François
Da Ros, la notion de passage vers un " autre côté " est très importante :
" Un moment
donné, le besoin s'est fait sentir, déjà économiquement, même si ce n'est
pas l'aspect le plus déterminant, de passer de l'autre côté.
-
François Le Douarin De l'autre côté ?
-
François Da Ros C'est-à-dire, écrire aussi. Je ne fais
que rejoindre un cycle des premiers imprimeurs. D'abord, un typo
était forcément imprimeur. C'est ensuite, quand le métier a été
taylorisé, qu'on a dit : tu es typo / tu es imprimeur. Ils écrivaient.
C'étaient des lettrés. Je ne me considère pas forcément comme un
lettré de ce temps-là, mais j'ai des lettres, ne serait-ce que des
lettres de plomb. "
François
Da Ros, donc, au moment des entretiens, est déjà passé " de l'autre côté ".
En quoi consiste ce passage ? On sait qu'il s'agit d'une modification de la
nature de l'action : il " composait " puis il s'est mis à " écrire ". Certes,
mais il serait extrêmement réducteur de s'en tenir là pour comprendre ce qui
est en jeu.
De quelle façon s'est opéré ce passage ? Quels sont les chemins qu'il a emprunté
? Quel univers a-t-il trouvé ? Les réponses à ces questions permettent justement
d'appréhender la configuration du territoire dans lequel évoluent François
Da Ros et Martine Rassineux. J'y reviendrai donc plus loin (voir ci-dessous).
Pour l'instant, contentons-nous d'observer dans quel état d'esprit François
Da Ros se trouvait lorsqu'il est passé en Anakatabase :
" Cet anakatabasien
a donné le nom aux éditions et, en même temps, cela correspond au moment où
je suis passé de l'autre côté. Ce n'est pas quand j'ai commencé à composer
que suis devenu typo, tout le monde compose, tout le monde peut faire de la
menuiserie, mais tout le monde n'est pas capable de donner une vie à un meuble.
"
L'univers
et les voies de passage entre les domaines
Dans
l'univers de François Da Ros, la relation entre création et artisanat se présente
d'emblée sur le mode de l'interdépendance, si ce n'est de la fusion :
" L'ambiguïté
artisan/artiste, moi je revendique que, parfois, l'artiste prend le pas sur
l'artisan et que je ne pourrais pas faire ça si je n'avais pas été artisan
en même temps ; un artisan qui est capable ou qui veut passer de l'autre côté.
Tout l'invite. "
La
distinction entre les domaines ne tient souvent qu'à un détail :
" Bien souvent, il y a des œuvres qui sont dites complètement artisanales,
et il y a un petit détail dedans qu'on a envie de caresser. Cela atteint ce
même but (que celui d'une œuvre d'art). "
Même
la fonction ne semble pas définir la nature de l'objet, si ce n'est au travers
du caractère sacré que lui confère sa finition :
" (…/…) Les
mêmes choses peuvent être utilitaires : une table peut devenir un autel. Certaines
tables bien faites, on les touche avec respect, parce que le fait de partager
un repas, c'est autre chose que de se nourrir.
-
Martine Rassineux Moi j'ai l'impression que l'objet artisanal
devient une œuvre d'art quand il dépasse le côté utilitaire et matériel
et qu'il a un sens spirituel, un sens rituel… Quand il a la même
utilité qu'une sculpture ou un tableau"
Martine
Rassineux se base sur son expérience de la gravure pour expliquer en quoi
il lui semble nécessaire d'envisager cette discipline dans sa globalité :
" Quand
tu imprimes toi-même, tu as plusieurs temps de travail, plusieurs maîtrises
nécessaires et quand tu imprimes tu deviens artisan, ce n'est pas autre chose.
Cette façon de travailler se répercute sur ta création, puisque tu crées en
fonction de la façon dont tu vas imprimer. "
" Tu peux
donner des ordres au taille-doucier…(…/…) mais tu n'auras pas cette expérience
de l'impression qui fait que tu vas graver autrement. Puisque tu as, toi,
imprimé et que tu t'es rendu compte qu'il y a des choses qui te conviennent."
" Tout ce
qui est extérieur à la création, changer les encres, on peut dire que c'est
la technique du taille-doucier, mais concevoir l'œuvre en fonction du travail
artisanal, c'est quelque chose d'indispensable pour renforcer un certain type
d'expression. Il n'y a que celui qui fabrique l'image, donc le créateur, qui
peut le faire. "
Martine
Rassineux établit une relation entre le type de création et les contraintes
techniques du contexte de réalisation:
" Il faut
différencier l'acte de création " entièrement libre " par exemple une gravure
dont la seule contrainte est imposée par le format de la presse, de la même
gravure où l'acte de création doit tenir compte du fait qu'il s'agit d'une
page de livre avec un certain format. Dans le premier cas l'artiste est libre
dans le deuxième cette liberté admet la contrainte imposée. "
L'espace
artisanal apparaît donc comme une phase essentielle et indissociable de la
création :
" J'ai l'impression
que quand tu crées, si tu as accepté d'aller dans l'artisanat le plus que
tu peux, de mener les deux recherches simultanément, eh bien j'ai l'impression
que l'artisanat intervient comme un filtre qui n'est pas limitatif, mais qui
est un filtre qui permet de re-mouliner la pensée, de la synthétiser et de
lui faire dire l'essentiel. "
" Ce que
je ressens, c'est que la technique n'est pas à prendre comme une
entité définissable aussi clairement qu'on prend un marteau pour
taper sur un clou. Il y a des composantes matérielles à apprendre,
mais la technique en elle-même est, à mon avis, un terme beaucoup
plus flou. C'était bien précisé dans le vocabulaire grec : il y
avait à la fois
le mot tekhné, qui était tout ce qui tourne autour de l'outil, de
l'apprentissage des outils, et psukhé qui est le souffle vital qui
donne vie aux choses, à la pratique artistique, artisanale. C'est
le mélange savant des deux et leur répercussion de l'un sur l'autre
qui fait la création. Quelle est la limite de l'un, quelle est la
limite de l'autre ? C'est beaucoup plus trouble qu'on ne l'imagine.
Le but étant évidemment la création… "
" Si je reviens
à la question : " Êtes-vous artiste ou artisan ? ", moi je trouve que l'un
et l'autre, presque simultanément, sont nécessaires. Dans le fait même d'appliquer
une technique, quelle qu'elle soit, c'est déjà un travail d'artisan. "
Le
fait de considérer qu'il s'agit de domaines distincts et cumulatifs serait
une impasse :
" Cette personne
est quelqu'un qui pense qu'on apprend, d'un côté, une technique, et cette
technique, une fois qu'on l'a bien apprise, on l'applique dans la création.
Mais, en fait, je crois que ce n'est absolument pas du tout possible. Cela
voudrait dire que quand tu as bien tout appris, tu es un bon créateur. Or,
tu ne peux jamais être un bon créateur, puisque toute la problématique consiste
justement à définir ça : comment, parfois, il y a des instants magiques qui
font qu'un dessin fonctionne, ou que ça ne fonctionne pas ? "
Expérimentation,
tel est le terme qui semble le mieux définir la pratique de François Da Ros
et Martine Rassineux ; ce qui les amène à se situer par rapport à leur milieu
professionnel :
" L'expérimentation
est importante pour nous, mais d'un autre côté on est gênés pour utiliser
ce terme, car on se rend compte, en regardant d'autres livres que nous a présenté
notre courtier, que cette notion d'expérimentation désigne souvent dans le
livre d'art des choses dans lesquelles on ne se reconnaît pas du tout. "
Les
livres d'art réalisés par d'autres artistes se distinguent souvent par leur
médiocre facture technique et une méconnaissance des matériaux. Ces défauts
techniques choquent Martine Rassineux et François Da Ros. Plus que l'incompétence
ou la négligence, un allant de soi minimal dans la maîtrise technique qui
n'est pas respecté, ces défauts trahissent une approche où la création se
trouve totalement déconnectée du processus de réalisation :
" Il y a
ce côté : on donne à l'artiste le droit de mal faire une tâche qui était traditionnellement
attribué à quelqu'un d'autre. Moi, soit je sais le faire et je le fais comme
un professionnel, soit je ne sais pas et je vais voir un professionnel.
-
François Da Ros Quand on le fait, on le fait. "
" On peut
penser qu'un livre est la maison d'une pensée. Ces maisons s'écroulent, elles
ne peuvent pas être habitées par le texte. Peut importe la forme, mais ça
doit tenir debout. Là ça ne tient pas debout. "
" Ce que
je trouve choquant, c'est que tu n'as pas du tout d'accords entre les matériaux
utilisés. La photocopie est faite sur du vulgaire papier laser, et c'est recollé
sur un papier de Moulin. Au premier coup d'œil, tu as un désaccord entre ce
papier blanc bleuté désagréable quand il est en contact d'un papier qui n'a
strictement rien à voir ; d'ailleurs, le fait que ça se décolle ce n'est pas
par hasard, la colle n'a pas pu pénétrer. Les matériaux sont en désaccord
et ça hurle. Tu ne penses même pas aux motifs présentés, tu ne penses qu'aux
matériaux en désaccord. "
Par
contre, une démarche d'expérimentation amène à porter un regard attentif sur
ses propres " erreurs techniques " pour les exploiter :
François
Da Ros " Le baroque, tu ne le vois jamais entièrement. Tu en vois
un bout, tu changes d'angle, tu vois autre chose. Là, justement, dans ces
tirages elle a fait comme en typo, elle a rehaussé certaines plaques, et d'autres
plus absentes, ce qui fait qu'avec un encrage adéquat, on voit le trait, on
le devine, il y a à peine d'encre, c'est comme une vision où tu le vois mais
tu ne vois pas tout, quand même. C'est comme si tu te déplaçais.
Martine
Rassineux : Pour moi, c'est une chose importante, parce que cela
résume le fait que tu peux utiliser le tirage raté pour une nécessité… "
Par
la démarche expérimentale, un projet particulier a permis une convergence
insolite entre plusieurs personnes, chacune travaillant dans son domaine mais
autour d'un même fil conducteur :
" Dans KACEROV,
ce qui me frappe c'est qu'effectivement ce n'est un pas un livre, tel qu'on
l'entendait avant : un objet qui contient tout en lui-même. Là, finalement,
les choses sont séparées, rien que par le fait que dans l'histoire réelle
du livre, le texte n'a pas été fait en fonction des illustrations, ni les
illustrations à partir du texte. (…/…) Tout se retrouve en relation par l'intermédiaire
d'une idée qui est le livre : KACEROV, comme la station de métro, avec ses
correspondances. "
L'expérimentation
permet le contournement des règles en toutes connaissance de cause :
" L'écrit
est extrêmement important, (dans KACEROV) mais c'est une autre dimension
de l'écrit qui n'est pas forcément l'écrit pour soi. C'est un écrit qui est
ouvert : généralement une lettre n'est jamais dans ce format-là. (…/…) Je
revendique quelque chose de vraiment contemporain où, tels que les poètes
et les plasticiens, on va chercher tous azimuts ce qui était presque, entre
guillemets, interdit avant. "
" Dans le
fait même d'appliquer une technique, quelle qu'elle soit, c'est déjà un travail
d'artisan. Mais cela a toujours été dans mes recherches de tenter d'aller
au-delà du simple métier. Si on se limite au simple aspect technique, je n'aurais
jamais fait ça (il montre KACEROV). Il y a des choses là-dedans, qui
sont complètement interdites dans le métier. Ne serait-ce que ça : on ne mélange
jamais des caractères (…/…) "
" A l'intérieur,
j'ai fichu en bas toutes les conventions dans laquelle une langue est entrée,
à partir du moment où elle existe. Les Grecs tiraient tous les mots collés
pour qu'il n'y ait que les lettrés qui puissent comprendre ; là je veux que
pour celui qui connaît le français, il ne soit pas nécessaire d'obéir à la
convention selon laquelle quand un mot est coupé il faut une division. Si
tu connais la langue, tu n'en n'a pas besoin. "
Dans
l'ordre des procédures, l'expérimentation pratique prime sur l'énonciation
de concepts :
Martine
Rassineux " En fait, la façon dont on travaille, dans les éditions,
on essaye de ne jamais théoriser. On essaye que ça vienne naturellement…
François
Da Ros … laisser mûrir.
Martine
Rassineux …normalement, quand tout est place, il y a évidemment
une théorie qui s'instaure…
François Da Ros : … après coup.
"
C'est
en ce sens, aussi, qu'il y a divergence importante entre les éditions Anakatabase
et les productions de la concurrence. La logique expérimentale est inversée
:
" Ces démarches
de livre, sous des apparences créatives, sont en fait très tristes.
C'est complètement théorisé.
Tu sens la personne qui a établi un système : le pochoir, les images
scannées-découpées… il n'y a pas de démarche, c'est une théorie
matérielle. "
François
Da Ros revendique le fait que le livre établisse une relation entre
l'univers du créateur et celui du lecteur :
François Le Douarin " Comment
décririez-vous cet objet (le livre KACEROV)?
-
François Da Ros " On m'a déjà demandé de le présenter une fois.
J'ai dit que c'est un livre conceptuel parce qu'il n'y pas d'autre nom actuel,
mais je ne suis pas tout à fait d'accord dans le fait du conceptuel qui est
plutôt quelque chose de statique, qui est présenté et où tout se passe dans
l'imagination du spectateur. Là, c'est vous qui vous mettez en scène. (…/…)
. Mais toute la mémoire est là. C'est votre vécu qui chaque jour, chaque fois
que vous l'ouvrez fait que vous abordez dans un sens ou dans un autre… "
De
même que dans les peintures de Martine Rassineux, une correspondance s'opère
entre l'univers du créateur et celui du collectionneur :
" J'ai bien
regardé la façon dont il observe les choses ; et je me suis rendue compte
que, pour lui, que ce soit tout noir, blanc, violet ou qu'il y ait une certaine
forme, j'ai senti qu'il s'en fiche. C'est plutôt une espèce de rencontre mentale.
Je n'existe pas. C'est un dialogue avec des images, dont il a besoin à un
moment donné. Il passe à une autre, et c'est comme une cohérence par rapport
à sa pratique personnelle : c'est un homme de théâtre.
François
Da Ros Ce qu'il achète renforce sa propre vision, secrète encore
en lui… "
En
considérant le processus de création à partir de cette circulation entre créateur
et observateur, la question décoratif ou non d'une oeuvre, voire de son détournement,
devient secondaire:
Martine
Rassineux : … oui, mais, pour lui, ce n'est pas du tout de l'ordre
du décoratif et de l'ornementation intérieure d'une maison. D'ailleurs, cela
est renforcé par le fait que cette personne est quelqu'un qui vit dans beaucoup
de lieux éclatés, pour qui la chose dans l'intérieur est annexe. Il vit avec
des œuvres. Où il les met ?…Parfois, d'ailleurs, c'est trop grand, il ne sait
pas où les mettre, mais ce n'est pas un problème. "
Pour
Martine Rassineux, l'histoire a montré que c'est justement la déconnexion
d'une œuvre de son contexte d'origine où l'absence de repères spatio-temporels
qui permettent toute sorte de détournement :
" Ce que
deviennent les œuvres à toutes les époques, dans leur aspect décoratif, c'est
vraiment un détournement d'objets par la culture (…/…) Avant, c'était plus
marqué, puisqu'il y avait des œuvres destinées à figurer dans des églises,
qui contenaient en elles-mêmes leur position dans l'espace. Quand les œuvres
ont été disponibles, faites à l'unité par le peintre, pour être achetées et
pour quitter soit le château, soit l'église, l'artiste n'a plus été responsable
de l'endroit où l'on mettait l'œuvre ; cela prête à toutes les interprétations
possibles. "
Autre
détournement :
" Maintenant,
tout ceux qui font encore de la calligraphie : pour moi c'est du pipeau. C'est
un bon exercice personnel, mais la calligraphie, à un moment, c'était nécessaire
: l'image leur était interdite. Tout passait par là. Aujourd'hui c'est un
exercice mais, sans cet interdit, cela ne peut plus avoir la même valeur.
Souvent, il ne reste que la valeur de l'esthétique. Ce n'est plus l'esprit
qui mène la main. Il n'y a plus la nécessité qui est derrière. "
La
relation avec le client, dans le cas de François Da Ros, doit s'établir dans
un rapport clair de ce qui est demandé :
" (…/…) il
y a des gens avec qui je ne pouvais pas travailler, je disais tout de suite
quand je voyais qu'on ne pouvait pas s'entendre : " Si vous m'apportez une
maquette, que je comprends, je l'exécute. Mais tel qu'on est parti là, je
ne vois pas ce que je peux faire, puisqu'on ne s'accorde pas. "
Les enjeux
principaux : en Anakatabase
Qu'est-ce
donc que cet Anakatabase ? On le sait : un autre côté. On le sait : un langage
construit à partir de représentations de la casse typographique française
… tout cela est important à savoir, mais c'est encore suffisant.
Revenons
à François Da Ros, notamment quand il décrit l'importance qu'il accorde à
la gestion des blancs et à la respiration de la page.:
" Moi, par
exemple, on reconnaît mes blancs. J'ai toujours pensé qu'on ne lit pas le
caractère, mais on lit les blancs que le caractère détache de la page. Le
caractère le plus beau qui soit permet de détacher des blancs, lorsque toute
lecture ou toute vision d'œuvre graphique t'emmène vers un certain
blanc. "
Cette
réflexion sur les espaces internes de la page, n'est pas qu'une " simple "
question ayant trait à la mise en page :
" Quand j'employais la mono, nécessaire pour certains livres, parce que je
n'avais pas assez de plomb, elle était toujours reprise à la main comme si
je composais. Je lui donnais la valeur, non pas de l'artisanat, mais des blancs
que j'enfermais dedans et qui transpirent dans la page. Quand un artisan arrive
à travailler dans ce genre là, il est forcément artiste, mais il n'est pas
rien que cela. "
On
retrouve ici la dimension fusionnelle, déjà évoquée : l'absence de séparation
entre le créatif et l'artisanal ; une absence de séparation qui permet la
circulation entre la pensée de l'auteur et celle du typographe :
" Quand je
compose j'essaye d'être dans la tête de celui qui a écrit, j'essaye
de percevoir ce que lui a vécu à ce moment-là et de le rendre au
plus juste. Je dis toujours aux auteurs et personne ne m'a contredit
: " Vous savez, en travaillant sur votre texte je pourrais dire
quand le téléphone a sonné : à cet endroit, votre pensée a été interrompue
et vous mettez quelques mots pour recoller en attendant de retrouver
le fil. " " Il y a une rupture, qui se reconnaît,
comme dans les bandes que tu fais dans les raccord.
Mais
on n'en reste pas là, car le typographe est un passeur :
" A travers
la lenteur de la composition lettre à lettre le typo entre dans la tête de
l'auteur, là où les lettres se conjuguent, où les mots prennent forme pour
se transformer en images dans la tête du lecteur. "
Autre
circulation, celle qui permet de remonter le temps :
" L'année
dernière j'étais au Carrousel du Louvre, j'avais une forme, là-bas. Un menuisier,
un ébéniste, qui a un stand à côté, est venu me voir. On a parlé de la forme
comme, moi, j'ai pu parler de son bois. Quand il a un bout de bois en main,
il peut remonter l'histoire du bois. "
François
Da Ros, lui, remonte à l'histoire de la casse française :
" (…/…) il
y a une structure commune à toutes les casses françaises, à la casse de plomb.
"
On
retrouve le même processus de transmission en trois étapes (trilogie ?) que
celui existant entre l'auteur, le typo et le lecteur. L'un des rapport que
François Da Ros entretiens avec le temps repose sur un mécanisme du type :
le présent se nourrit du passé pour alimenter le futur :
" (…/…)
lorsque je fais mes propres typo, que je compose (…/…) : je ne distribue jamais
un livre sans me voir en faire un autre derrière. Ce qui veut dire que, pendant
la distribution, je pense hériter de la mémoire du plomb, du livre précédent.
"
Par
ces différents niveaux de circulation, un univers particulier est dévolu au
livre. Sans qu'il s'agisse encore de l'Anakatabase, on perçoit déjà un espace
mental, immatériel, qui acquiert progressivement son autonomie par rapport
au contexte matériel :
" Chaque
fois que je fais un livre, je considère que le livre est quelque chose d'immatériel,
même si on a un objet en main. "
" Toutes
ces choses qui sont physiquement présentes, bien tangibles, elles sont abstraites
quand on tient le livre. Ces choses naviguent en vous, pour ne faire que l'abstraction
à travers la lettre. "
Ce
qui fera dire à François Da Ros à propos de l'anakatabasien :
" Voilà…
c'est la langue de l'esprit, l'alphabet sacré du typographe. "
Pour
atteindre cette forme d'abstraction au travers du texte, il importe de respecter
certaines conditions ; la maîtrise technique, un allant de soi, mais aussi
la compréhension du temps imposé par la pratique de la typo :
" Oui, cette
lenteur est nécessaire et je dirais même qu'elle est indispensable pour comprendre
l'esprit du texte et le rendre dans le livre pour faire qu'un livre ne soit
pas comme un autre. "
" A travers
la lenteur de la composition lettre à lettre le typo entre dans la tête de
l'auteur, là où les lettres se conjuguent, où les mots prennent forme pour
se transformer en images dans la tête du lecteur. "
" Je sais
par expérience qu'il faut que je passe par des phases qui ne serviront
qu'à amener autre chose. Si je ne passe pas par là, je n'arriverais
jamais. Dans mon écriture c'est pareil. Je sais qu'il y a des choses
qui ne sont pas au point. C'est dans le composteur que cela arrive.
Cela n'est pas finalisé. "
" Lui, il
avait mis : l'amour jaillit. Moi j'avais mis : l'amour sourd. Par cette lenteur
de la composition, j'étais entré dans son texte. Il venait petit à petit,
l'amour, donc ne pouvait pas jaillir. "
L'informatique
a modifié la durée nécessaire à la fois pour " composer " du texte et pour
acquérir un savoir-faire technique. Cet aspect représente d'ailleurs l'un
des principaux griefs formulé à l'encontre de la photocomposition, de la bureautique
et de la PAO :
" Si tu
essayes une fois d'aller chez un collègue qui a une casse, et que tu essayes
de composer un bout avec une casse. Fais cette expérience. Et tu verras que
tu as besoin de cette lenteur. L'ordinateur t'entraîne, où tu ne pourras pas
le freiner, parce que tu n'as pas composé avant. Il faut freiner ton ordinateur.
Laisse reposer huit jours et tu reviens après. "
" Je le disais
il y a trois jours à un jeune infographiste typo, qui fait du plomb,
il a essayé, il a vingt-sept ans, c'est un littéraire qui est à
Estienne. (…/…) Je lui ai dit : " tu connais trop de choses intellectuellement
dans le livre et tu n'as pas passé toute cette expérience ; tu n'as
jamais fait de livre dans tes mains. Le corps n'apporte pas sa réponse.
Il y a juste ton esprit qui apporte la réponse. " "
L'éducation
religieuse est une dimension essentielle qui doit être prise en compte pour
comprendre l'apparition du " dispositif anakatabasien " dans le parcours de
François Da Ros.
" Si je devais
résumer, avec mes mots - je suis quand même très fortement ancré dans une
culture chrétienne, pas forcément parce que c'est religieux - : qu'on le veuille
ou non, tout travail, que l'homme fait avec cœur, c'est comme une prière à
l'univers. Il rejoint ce côté fantastique qui nous est incompris : comment
tout cela tient ? On participe à cet événement, à cette continuité de l'univers.
C'est pour cela que croyant ou non-croyant, quand ton travail atteint le niveau
où tu es transporté ailleurs, c'est magique, appelles-ça comme tu veux, c'est
une prière à l'univers. Cela ne se trouve pas uniquement chez nous, ça se
trouve partout. Du travail bien fait c'est extraordinaire. "
C'est,
d'ailleurs, à partir de la même disposition à effectuer des prières, y compris
" pas au sens religieux ", que François Da Ros formule ses critiques à l'encontre
des " concurrents " :
" Pendant
des siècles, l'être humain… enfin c'est comme ça que le vois : l'art
est une prière à la nature, pas au sens religieux : une incantation
; on était en prière avec l'univers. Et d'un seul coup, on bascule
et aujourd'hui, les gens sont en prière avec eux-mêmes. Ils prient
ce qu'il ont en dedans. Aucune référence avec l'univers avec lequel
ils vivent. C'est ce détachement qui est extrêmement déroutant.
Comment faire le lien ? Certains peuvent y arriver, et pour d'autres
: c'est eux au centre. Et alors, là, s'il n'y a rien dedans… qu'est-ce
qu'il reste ? Il y a du beau papier… A ce moment-là
je demande au moins une technique. Là on ne peut plus parler d'art
et de création, à mon sens. "
La
révélation, le mot n'est pas trop fort, est déclenchée par une série d'éléments
perturbateurs avec les Norvégiens : d'abord, l'intuition d'un " gouffre "
dans le texte (qui sera confirmée) alors qu'il ne connaît pas la langue, puis
cette conscience rétrospective d'une faute à partir de la mémorisation d'un
mot (norvégien) sur lequel il avait buté.C'est
en effectuant un retour sur ses propres gestes, en se voyant faire, qu'il
commence à décoder l'Anakatabase :
" Et puis
quand je distribue (…/…) Tu es dédoublé : je me vois faire. D'un
seul coup, je me dis :
" Qu'est-ce que tu fais là ? Tu es en train d'écrire dans l'espace,
dans le vide. "
C'est
la prise de conscience de ce double niveau d'écriture (à partir de la perception
d'un dédoublement) qui le conduit à " passer de l'autre côté " :
" (…/…) c'est
un aspect caché. J'ai mis plus de trente ans à le découvrir. C'est tellement
bête les choses que l'on fait tous les jours, qu'on n'analyse pas et que tu
fais de façon mimétique. Il n'y a pas un typo au monde qui, au bout d'un mois
dans la boîte, lorsqu'on lui demande d'aller chercher une lettre pour corriger,
ne se mette pas à compter sans descendre la casse. (…/…) Mais avant que ça
vienne à fleur et que tu puisses le rendre… on fait des tas de choses comme
des singes. Le métier permet, dans le silence, de découvrir ce que tu fais,
pourquoi tu fais ci, pourquoi tu fais ça, ce qui est quand même magique. "
" A travers
Anakatabase, je découvre qu'un mot, avec les mêmes lettres, cache
un autre mot. Avec une page
d'un roman, on peut en faire une autre page, et ainsi de suite.
"
Une
circulation s'établit avec une période lointaine et importante de sa propre
histoire et, là encore, François Da Ros compose du sens :
" On avait
une méditation libre tous les matins. Moi j'ai médité sur la Bible,
mais tous les trucs externes au sacré : Sodome et Gomorrhe, le bâton
de Moïse sur le rocher… (…/…) Et puis ce temps de méditation sur
cet escalier Anakatabase, qui reliait la cour inférieure où les
gosses jouaient à la cour supérieure qui était un lieu de passage,
plutôt un jardin à la française, pour aller à la chapelle. (…/…)
Ce qui fait que cela a toujours été mes recherches. Dans ma vie
il y a toujours eu Anakatabase : ana, en haut ; kata, de haut en
bas ; base de basis. Autrement dit : Anakatabase
si le mot escalier n'existait pas. "
Une
rationalité locale se construit et se renforce par capillarité ; l'univers
anakatabasien ne semble plus avoir de limites : " Tu as une portée
musicale. C'est pour ça que ce signe anakatabasien est aussi un signe musical.
Je suis en train de le mettre en musique. Il est jouable, j'ai déjà plusieurs
musiciens qui ont essayé… "
" Je dis
que c'est la langue de l'esprit parce qu'un chinois va pouvoir traduire, avec
le plan de la casse française, homme dans son signe à lui et il va comprendre
une chose, une notion musicale. (…/…) Le Chinois qui vois ça va comprendre
que ça se dit en une seule émission de voix : Jean. Alors qu'en haut, il va
faire : j - e - a - n. "
" J'ai fait
des essais : je supprime toutes les horizontales, j'obtiens un code barre.
"
" De là à
penser que la casse française renferme le système de l'ordinateur, c'est quand
même formidable. J'en suis épaté, cela veut dire que la structure même de
la langue française est vraiment en correspondance avec l'esprit. (…/…) Tout
le monde se retrouve dans la casse française, à travers l'ordinateur. "
Ces
correspondances tout azimut ne risqueraient-elles pas de donner le vertige
? L'induction mise en œuvre dans cette généralisation du " champ anakatabasien
" caractérise fortement cet univers ; mais, il s'agit aussi d'un jeu, d'une
" amusade ", d'une démarche expérimentale et créative :
" Au début
avec Martine, quand on correspondait, elle m'a fait une blague. Elle m'a anakatabasé
toute une lettre, avec un timbre. Je la trouve dans ma boîte aux lettres.
Je me dis : "C'est pas possible, le facteur n'a pas pu l'avoir… Ah voilà !
Il n'y a pas de tampon dessus… " Moi, à sa place, j'aurais décollé un timbre
avec un tampon. Je me suis dit qu'il fallait que je lui fasse une blague aussi.
(…/…) "
" Je ne l'ai
pas cherché au départ, la mise en page était faite. C'est après, que je me
suis dit : " Tiens, si j'essayais… " C'est un peu comme la recherche du nombre
d'or. "
" J'ai écrit
le texte en anakatabasien, ensuite, j'ai effacé la moitié du signe. Je les
ai mise l'une au dessous de l'autre. Cela fait vraiment du runique, des caractères
de l'Antiquité qui ont disparu. Je les ai mises les unes au-dessus des autres,
en pensant que peut-être dans l'avenir, un chercheur va dire : " Qu'est-ce
que c'est que ça ? " et puis d'un seul coup en photo : " Ah ! si je superpose
les deux, j'ai le signe complet ! "
" Le cassetin
du diable, à partir de ma langue maternelle, j'en ai fait un château : cassetin,
castello, castelin, castin c'est en patois. C'est un apport à la langue. "
" (…/…)
c'est aussi une dérision de montrer les côtés importants de la langue ; ce
qui oblige à réfléchir sur la langue d'une autre façon, à voir les racines
des choses… "
D'autant
que derrière la révélation de l'Anakatabase, s'intégrant dans un discours
à tonalité universaliste (voir plus loin), il ne semble pas apparaître de
volonté de créer un système qui se poserait réellement en tant que " solution
" universelle (comme, par exemple l'esperanto) :
" Je dis
que c'est la langue de l'esprit parce que je ne peux pas le lire couramment.
Je l'écris couramment, mais ce n'est pas ma structure de lecture. "
L'univers
qui vient d'être décrit est marqué par une rationalité locale, voire
une logique de système profondément ancrée par la pratique même
du typographe. Cette rationalité locale que je pourrais qualifier
de puissante est elle-même renforcée par la mise en Anakatabase
- comme on le dirait d'une mise en apnée - de François Da Ros et
Martine Rassineux. Dans ce contexte, la logique inductive trouve
encore à s'exprimer :
de la prière à l'univers François Da Ros passe à une vision universaliste
de sa pratique :
" Avec l'Anakatabase,
j'ai pris conscience ; l'homme prend conscience que ce qu'il fait a une autre
dimension que le simple aspect matériel. "
" C'est le
livre qui est minimaliste : s'il y a un incendie chez toi, tu peux
n'emmener que ça, c'est le livre de la vie,
un peu la communication avec l'univers. "
" La France
est le seul pays qui a accueilli énormément d'artistes, au temps des Lumières,
au temps de tout. Penser que cela a donné naissance à cette casse - personne
ne l'a imposée, elle s'est imposée d'elle-même à un moment donné - j'y vois
là quelque chose d'universel, un peu. "
" Tu vois,
ce livre tend à démonter toutes les langues… enfin, à démonter notre langue
à travers d'autres langues qui s'infiltrent au milieu des lettres pour montrer
l'appartenance qui se cache dans toutes les langues, même si elles n'ont pas
le même alphabet. "
Une volonté
de communiquer " à l'univers " par " l'universel " qui se construit par la
connaissance expérimentale de la création du livre : " C'est plutôt le livre
qui se regarde lui-même en train de se faire. C'est presque toute la démarche
extérieure, qui n'est pas le livre, qui est indispensable à la fabrication
du livre, qui se met en scène elle-même. Finalement le livre raconte le livre.
"
(...)
Éditions
Anakatabase
Territoires
conquis
Le territoire
éponyme des Éditions Anakatabase a été fondé, à la suite d'une découverte
vertigineuse, il y a maintenant plusieurs années. Les occupants
de ce territoire, certes assez peu nombreux, ont développé un langage
dans laquelle ils communiquent entre eux, mais aussi à l'aide duquel
ils s'adressent à l'univers. Il est probable que personne d'autre
que François Da Ros n'aurait été en mesure de construire ce territoire.
Il ne s'agit pourtant pas d'un monde totalement imaginaire et encore
moins d'une fantaisie déconnectée de tout contexte qui n'appartiendrait
qu'à son découvreur.
En " passant de l'autre côté " François Da Ros a basculé dans un
monde qu'il a " décodé " et reconstruit à partir de son parcours
personnel. L'Anakatabase résulte de la convergence de deux jardins
secrets de François Da Ros : l'imprégnation d'une période de l'enfance
et la pratique exigeante de la typographie au plomb mobile.
Territoire
à défendre
Il ne semble
pas que le territoire des Éditions Anakatabase soient directement
menacé d'invasion : le terrain est relativement inaccessible et
rien ne semble empêcher François Da Ros et Martine Rassineux d'éditer
lentement et tranquillement de nouveaux ouvrages selon le rythme
imposé par la fabrication du Livre. Ce territoire réserve encore
une bonne part de découvertes ; il n'y a donc pas de nouvelles conquêtes
prévues hors de cet univers et peu d'obstacles en vue. Par contre,
les risques viendraient plutôt du monde extérieur qui, lui, serait
menacé ; ce qui ne manquerait pas, par voie de conséquence, de provoquer
de graves répercussions sur Anakatabase. En premier lieu,
la " typo informatique ", une pratique qui n'est pas rejetée par
principe, mais qui se singularise par une modification radicale
par rapport à la typo au plomb : l'absence de la prise en compte
des différents aspects du temps dans la
" composition " du texte. Certes, par opposition, cette typo informatique
permet de restituer pleinement ses lettres de noblesse à la typo
au plomb ; mais sa généralisation entraîne des conséquences importantes
sur le rapport au texte,
à la lettre, au livre et donc sur le sens même de la pratique anakatabasienne.
Autre inquiétude, évoquée furtivement :
" l'invasion immigrée " du territoire français et, par extension,
de la langue française auquel l'Anakatabase est structurellement
rattaché. Enfin, la stupéfaction en constatant l'évolution du marché
sur lequel se situe l'activité des Éditions Anakatabase : l'on y
voit des créations " tristes " et tape à l'œil d'artistes n'ayant
aucune culture technique côtoyer le livre " ringard ". Là encore,
ces productions peuvent servir de faire-valoir aux productions anakatabasiennes.
Il n'empêche qu'elle démontre, aussi, une marginalisation du territoire.
(...)
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