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Puis - il confond l'interlettrage avec l'espacement - il dit : "
Mais l'espacement… j'ai mis du 4.
" Je lui dis : " Oui, il est bien pour le corps, mais dans ce corps-là,
tu n'as qu'à essayer 2 points de plus. Tu mets du corps 12 à 2 points,
tu vas voir que tout va s'envoler. "
Il a dit : " Je ne suis pas d'accord pour le rond, parce qu'après
on voit le papier "…
Il faut que je lui passe un coup de fil, parce qu'à chaque fois
il me dit : " La prochaine fois que je fais un livre, est-ce
que je pourrais te le montrer pour que tu me dises ce qui ne va
pas ? "
On ne se connaît pas assez, mais je vais lui dire : " Ce travail
là, tu dois le faire tout seul. Si tu essayes une fois d'aller chez
un collègue qui a une casse, et que tu essayes de composer un bout
avec une casse. Fais cette expérience. Et tu verras que tu as besoin
de cette lenteur. L'ordinateur t'entraîne, où tu ne pourras pas
le freiner, parce que tu n'as pas composé avant. Il faut freiner
ton ordinateur. Laisse reposer huit jours et tu reviens après. Essaye
de regarder la page comme si elle n'était pas de toi. Moi, c'est
ce que je fais. Je fais des essais, je ne suis pas satisfait, je
le laisse reposer. "
Dès fois, j'ai la faculté d'oublier des livres. Après je me reconnais
dedans.
Martine
Rassineux : Cet exemple résume assez bien la problématique
que tu poses. Cette personne est quelqu'un qui pense qu'on apprend,
d'un côté, une technique, et cette technique, une fois qu'on l'a
bien apprise, on l'applique dans la création.
Mais, en fait, je crois que ce n'est absolument pas du tout possible.
Cela voudrait dire que quand tu as bien tout appris, tu es un bon
créateur. Or, tu ne peux jamais être un bon créateur, puisque toute
la problématique consiste justement à définir ça : comment, parfois,
il y a des instants magiques qui font qu'un dessin fonctionne, ou
que ça ne fonctionne pas ?
La théorie serait que quand tu as tout bien appris, tu fais tout
bien. Ce n'est pas la question, donc, cela veut dire qu'on ne peux
pas tout apprendre.
Ce que je ressens, c'est que la technique n'est pas à prendre comme
une entité définissable aussi clairement qu'on prend un marteau
pour taper sur un clou. Il y a des composantes matérielles à apprendre,
mais la technique en elle-même est, à mon avis, un terme beaucoup
plus flou. C'était bien précisé dans le vocabulaire grec : il y
avait à la fois le mot tekhné, qui était tout ce qui tourne autour
de l'outil, de l'apprentissage des outils, et psukhé qui est le
souffle vital qui donne vie aux choses, à la pratique artistique,
artisanale. C'est le mélange savant des deux et leur répercussion
de l'un sur l'autre qui fait la création.
Quelle est la limite de l'un, quelle est la limite de l'autre ?
C'est beaucoup plus trouble qu'on ne l'imagine. Le but étant évidemment
la création…
François Da Ros :
La création c'est un bien grand mot. Moi je n'aime pas beaucoup
ce mot. L'être humain divise tout. Tout acte humain est un acte
de création dès qu'il n'est pas répétitif. Là j'ai fait six exemplaires
(de KACEROV). J'aimerais passer à autre chose. Là, je fais
de l'artisanat, quoique ce n'est pas tout à fait vrai, parce que
je m'enrichis dans ma tête.
François
Le Douarin :
C'est une progression de l'un à l'autre ? le dernier sera peut-être
plus abouti que le premier ?
François
Da Ros :
Non,
je ne pense pas. A partir d'un certain nombre, il faut s'arrêter
parce que tu fatigues et que tu feras moins bien.
Martine Rassineux : Rien, par
notre constitution physique et par notre cerveau, ne va prêter à
dire que le premier sera mieux ou moins bien que le dernier. C'est
tout l'esprit qui est mis dedans, qui ne se voit pas, qui n'a pas
lieu d'être nommé, qui crée le fait que tout est comme cela doit
être ou ne pas être.
François
Da Ros :
Dans ce genre de travail, si tout était bien léché, ça fait de l'industriel.
Qu'est-ce qui fait la différence entre un objet que t'as envie de
caresser et un autre ? Tu connais l'homme qui a passé sa main dessus,
on imprègne quelque chose.
Martine
Rassineux : Il y a cette infime air du temps qui fait
qu'il y a quand même une tension qui reste du début jusqu'à la fin.
A mon avis, ça on le ressent.
Par exemple, toute ces études autour des baroques, j'ai fait à peu
près soixante-dix plaques de cuivre ; j'ai imprimé les gravures
séparément ; j'en ai imprimé pour le livre et d'autres pour un autre
projet de livre ; ces soixante-dix plaques, je voulais les réunir
dans un seul tirage. Au départ, c'était un tirage, donc c'était
un multiple et il devait y en avoir plusieurs. J'ai fait des essais
sur différents matériaux ; j'ai donc mis en œuvre toute une pratique
artisanale pour faire des essais. Mais une fois que l'essai a été
techniquement abouti, c'est-à-dire dès que j'ai finalisé la gravure
qui marque impeccablement sur n'importe quel support, je me suis
dit que, maintenant, il suffisait de réaliser soixante-dix plaques
comme ça ; cela doit marcher. Tu te rends compte, qu'en fait, ça
ne pourra pas marcher parce que dans ce cas-là, ça fait soixante-dix
gravures mises bout à bout, mais que l'œuvre globale demande autre
chose.
François
Da Ros :
Cela
aurait fait un record technique.
Martine Rassineux : A ce moment-là,
je me suis rendu compte qu'il fallait aller jusqu'à l'épreuve ratée.
L'enjeu, c'était, finalement, l'épreuve
qui serait dite " ratée " par celui qui passe, mais qui est
nécessaire. Mais, évidemment, il y a des plaques qui doivent être,
elles, parfaites. Une fois que tu as fait l'épreuve, tu te dis qu'objectivement
rien ne s'oppose à la répéter. Les plaques peuvent être réimprimées,
on peut remettre de l'encre dessus. C'est considéré comme un multiple,
à la base ; mais tu te rends compte que c'est impossible de le faire
; parce que, c'est comme cette peinture, tu as deux mains, une tête,
tu peux la refaire, mais personne ne va se prêter à ça ; on sait
que l'esprit sera absent.
Evidemment, pour des techniques comme la gravure, où rien ne s'y
oppose techniquement, on peut le faire et le refaire, mais en fait,
non, c'est comme la peinture. Techniquement, c'est possible, mais
je suis persuadée que l'œuvre sera vide. On verra bien que tu n'as
pas construit l'architecture de la chose mentalement, mais que tu
as mis devant toi un fantôme. Tu peux passer trois jours à le reproduire
fidèlement, mais je suis persuadée qu'il n'y aura pas le souffle
intérieur qui va faire que tout ça va jouer tout seul.
François
Da Ros :
Devant
les tirages de Martine, qui sont à la mairie du XXe (exposition
pour le Mois de l'estampe) il y a des couillons : " Ah, tu as
vu, c'est mal tiré… " C'est qu'il n'ont jamais observé du baroque.
Le baroque, tu ne le vois jamais entièrement. Tu en vois un bout,
tu changes d'angle, tu vois autre chose. Là, justement, dans ces
tirages elle a fait comme en typo, elle a rehaussé certaines plaques,
et d'autres plus absentes, ce qui fait qu'avec un encrage adéquat,
on voit le trait, on le devine, il y a à peine d'encre, c'est comme
une vision où tu le vois mais tu ne vois pas tout, quand même. C'est
comme si tu te déplaçais.
Martine Rassineux : Pour moi,
c'est une chose importante, parce que cela résume le fait que tu
peux utiliser le tirage raté pour une nécessité…
François
Da Ros :
… voulue… qui s'impose à une moment donné
Martine
Rassineux : …de ce qu'il exprime. Il exprime le manque.
Ce manque est très important dans le baroque, dans cette multitude
de choses qui t'envahissent, si tu veux tout posséder et tout voir,
tu ne peux rien dessiner, tu ne peux rien regarder. Tu es obligé,
pour regarder une petite chose, de perdre toutes les autres. C'est
ce qui fait cette angoisse, quand tu sors de ces lieux, parce que
tu voudrais toujours les avoir dans la tête, tout retenir.
Quand j'ai commencé à faire les séries de dessins, je ratais tout,
j'aurais voulu en faire des kilomètres, tout en même temps, les
feuilles étaient bourrées de tas de trucs partout. On ne voyait
rien du tout. C'était le bazar, jusqu'au moment où je me suis calmée
et je me suis dit : il faut accepter le fait que tu ne peux saisir
qu'une infime partie. Cette infime partie est déjà un multiple,
parce que tu te rends compte que dans le baroque, en fait, beaucoup
de choses ont été traitées dans le multiple. Tu as l'impression
que c'est toujours la même forme qui se répète, le même ange qui
revient, toujours les mêmes personnages qui racontent la même chose.
Finalement, il y a de la diversité mais, pas tant que ça, parce
qu'en fait cette diversité concourt à l'unité.
François
Da Ros :
Si je devais résumer, avec mes mots - je suis quand même très fortement
ancré dans une culture chrétienne, pas forcément parce que c'est
religieux - : qu'on le veuille ou non, tout travail, que l'homme
fait avec cœur, c'est comme une prière à l'univers. Il rejoint ce
côté fantastique qui nous est incompris : comment tout cela tient
? On participe à cet événement, à cette continuité de l'univers.
C'est pour cela que croyant ou non-croyant, quand ton travail atteint
le niveau où tu es transporté ailleurs, c'est magique, appelles-ça
comme tu veux, c'est une prière à l'univers. Cela ne se trouve pas
uniquement chez nous, ça se trouve partout. Du travail bien fait
c'est extraordinaire.
Croyant, non-croyants, ils ne savent même pas qu'ils vont tous dans
la même direction. Il y en a qui se disent matérialistes, et ils
font des choses qui sont complètement de l'esprit. Il y a une contradiction
formelle. S'il ne croit pas à la survie de l'esprit, que c'est l'esprit
qui conduit, pourquoi fait-il une chose éternelle ? C'est troublant.
Martine Rassineux : En tout
cas, je suis sûre qu'on ne peut pas dire : " La technique existe,
on la prend et on l'applique. " C'est beaucoup plus ambigu que cela.
Tout agit l'un sur l'autre.
François
Le Douarin :
Est-ce que vous pourriez me parler d'Anakatabase ? De la genèse
de ce langage, parce que c'est un langage ?
François
Da Ros :
A travers Anakatabase, je découvre qu'un mot, avec les mêmes lettres,
cache un autre mot. Avec une page d'un roman, on peut en faire une
autre page, et ainsi de suite.
Si tu vas à la mairie, c'est une autre façon de comprendre Anakatabase
: on a fait un tout petit livre, il y a quelques années : La Grammaire
des étoiles. C'était parti d'une idée, complètement éloignée : tu
vois, les petites boîtes de Cachou ? Peut-être que cela vient à
tout le monde, mais j'ai toujours été séduit par le bruit. Je voulais
faire un livre, le médicament de l'esprit, de l'âme. On a contacté
la maison Cachou, pour savoir s'ils nous donneraient le droit d'employer
leur boîte et le mot Cachou. C'était trop compliqué, peut-être que,
maintenant, avec le mécénat d'entreprise…, enfin bref, cela n'a
pas été possible. Cette idée a été transposée pour arriver, après
plusieurs démarches, à faire un livre comme ça, qui est assez solide
pour monter dessus.
C'est le livre qui est minimaliste : s'il y a un incendie chez toi,
tu peux n'emmener que ça, c'est le livre de la vie, un peu la communication
avec l'univers.
On a rencontré un auteur, qui est féru d'Inde, et Martine est allée
en Inde, elle a même failli perdre la vie - elle s'était fait mordre
par un chien enragé - là, c'est signé au fond de la caverne (
il montre les signatures qui sont au fond du boîtier).
Martine
Rassineux :Cette teinture, ce rose, tu la vois toujours
dans les temples, qui est souvent associée avec un jaune d'or. Les
gens font des colliers rituels. Ils aspergent les moutons dans les
rituels.
François
Da Ros :
Tu
vois, l'anneau, qui est fait avec du filet typo, est recourbé dans
la reliure ; il n'est pas collé… Ce livre est comme une hiérogamie
entre le ciel et la terre, comme dans l'Antiquité.
Ce poète a fait un poème de trois lignes, un haïku, que j'ai mis
en forme comme ça. Il y a plus de typo au colophon que là.
Quand tu dis on lit, tu crois que tu lis, en fait tous les mots
tu les as photographiés, tellement tu les connais. En fait, il faut
ânonner pour lire. Là, il faut jouer le jeu. Il faut le lire à haute
voix. Tu as l'air ridicule au début, mais tu découvres le mot.
Martine Rassineux : Beaucoup
de personnes, dans les expositions le lisent à haute voix, sans
s'en rendre compte.
François
Da Ros :
Le papier c'est du Tyvek. Il n'y a que le feu qui peut le détruire…
Martine Rassineux : …indéchirable,
c'est utilisé généralement pour un emploi industriel.
Là aussi, au niveau technique, on doit ressentir comme des espèces
de tensions. Il y a comme des impossibilités ; par exemple les gravures,
quand tu imprimes, tu aplatis tout, théoriquement, puisque le but,
c'est de passer sous la presse. Or là, quand tu prends ce papier-là,
c'est être dans l'impossible par rapport à la technique, puisque
tu ne peux pas écraser ce papier. Il n'est pas écrasé.
Toute personne qui voit les choses, ressent cette tension-là. C'est
informulable. Cela confère une sorte de monumentalité par le fait
que ça devrait être mais ça ne l'est pas.
François
Da Ros :
L'auteur
a donc fait un haïku. Je ne pouvais pas le mettre en forme, j'en
ai parlé avec Martine et je suis finalement arrivé là. J'ai fait
la typo, je ne lui ai pas envoyé ; j'ai fait tous les coffrets.
Une fois que j'ai fini, je lui ai envoyé le papier, roulé très fin
dans un tube d'homéopathie. Il l'a sorti avec une paire de tenailles.
Je lui ai dit : " Si tu acceptes, mon travail est fait, sinon
on arrête là, parce que je suis allé au bout d'une histoire, je
ne peux pas faire autre chose. "
Une fois que j'ai mis en forme ce texte, j'ai voulu savoir si ce
n'était pas pipeau pour moi, parce que j'obéis à une espèce d'instinct,
j'ai fait comme sur les jeux d'enfant où l'on a des chiffres à relier
pour faire des dessins. J'ai relié des lettres comme ça, et pendant
que je le faisais, le poème faisait :
divisé entre ciel et terre espace
d'amour.
J'ai fait une conférence là-dessus, j'ai agrandi ça, un peu plus
grand qu'un homme et je me suis aperçu que tu as deux lignes complètement
parallèles, et après tu as toutes les errances. Les parallèles,
l'intérieur, l'extérieur… le zen, dans ta vie, t'es clean. Tu es
là, comme ça et ça pose des questions. Je ne l'ai pas cherché au
départ, la mise en page était faite. C'est après, que je me suis
dit : " Tiens, si j'essayais… " C'est un peu comme la recherche
du nombre d'or.
François
Le Douarin :
Il
y a un aspect ésotérique ?
François
Da Ros :
Ah oui, il y a un aspect ésotérique, c'est sûr. Tu vois, à la mairie,
Martine a fait un agrandissement qui est haut comme ça, pour que
les gens puissent le lire. J'ai dit aux gens : " essayez, vous,
de trouver votre point dedans. "
François
Le Douarin :
Tu
écris toujours des choses en Anakatabase ?
François
Da Ros :
Oui, on en revient à l'Anakatabase, le volume 2 est fait, en maquette,
composé, prêt à tirer… cela fait huit, neuf ans qu'il est fait.
On n'a jamais eu le temps.
Le volume 3, je suis en cours de le faire.
C'est une histoire extraordinaire, pour moi, l'Anakatabase. C'est
vraiment lié à la trilogie. L'Anakatabase, c'est vraiment la démonstration
de tout un travail dans le silence de l'atelier qui s'est imposé
à moi.
Un moment donné, le besoin s'est fait sentir, déjà économiquement,
même si ce n'est pas l'aspect le plus déterminant, de passer de
l'autre côté.
François
Le Douarin :
De l'autre côté ?
François
Da Ros :
C'est-à-dire, écrire aussi. Je ne fais que rejoindre un cycle des
premiers imprimeurs. D'abord, un typo était forcément imprimeur.
C'est ensuite, quand le métier a été taylorisé, qu'on a dit : tu
es typo / tu es imprimeur.
Ils écrivaient. C'étaient des lettrés. Je ne me considère pas forcément
comme un lettré de ce temps-là, mais j'ai des lettres, ne serait-ce
que des lettres de plomb.
C'est parti d'une nécessité ; à un moment donné, il fallait que
je le fasse, mais ce texte, il m'a été soufflé.
Le souffle de ce texte vient d'avoir composé et imprimé une douzaine
de livres pour les pays nordiques, dont je ne comprenais pas la
langue. Au début, pour les premiers ouvrages, il y avait un charter
de Norvégiens qui venaient à Paris. La première impression que j'ai
eue c'était dans une partie du texte, une préface, au format Jésus.
J'avais l'impression d'un gouffre, pendant que je composais. Comme
l'auteur était là, parlant le français, je lui ai dit : " Là,
j'ai l'impression d'un gouffre. "
Il me dit : " Non, vous voyez, là, les gens se jettent d'en haut
d'une falaise."
Comme je démontais l'un pour faire un autre, cela me laissait pantois.
La deuxième fois que j'ai eu une révélation comme ça, c'était toujours
sur un texte en norvégien. La correctrice - parce que j'étais corrigé,
même si tu fais moins de fautes dans ces langues que dans ta propre
langue, justement parce que tu photographies les mots - se précipite
vers moi et me dit : " François, on a laissé passé une faute.
" J'aime le on collectif.
Je lui ai dit : " Je connais le mot fautif, c'est ce mot-là.
" L'auteur était là
et
me dit : " Comment avez-vous su ? "
Je dis : " C'est simple, c'est le seul mot pour lequel je me
suis repris, je ne sais combien de fois, pour le composer : je n'arrivais
pas à le retenir. "
Il n'en a pas fait un drame, le mot restait recevable. Ils ont eu
le norvégien ancien, le norvégien sous la domination suédoise et
le norvégien d'aujourd'hui.
Il dit : " C'est un peu comme on dirait terrien et terrestre,
la racine reste la même et cela ne change pas énormément. "
Quand je suis rentré à l'atelier, je faisais un autre ouvrage pour
eux, et je tombe sur le mot et ça relance tout : " Comment cela
se fait-il ? " J'ai tout essayé : la transmission de pensée,
j'y crois pas. Je n'ai pas eu de textes manuscrits qu'il aurait
fallu taper à la machine à écrire. On ne peut pas lier ce mystère
à une explication graphologique… donc ça se trouve ailleurs.
Et puis quand je distribue, tu sais, je distribue à 3600 à l'heure,
à peu près. Tu es dédoublé : je me vois faire. D'un seul coup, je
me dis : " Qu'est-ce que tu fais là ? Tu es en train d'écrire
dans l'espace, dans le vide. "
Sitôt finie ma poignée, je prends un papier, et inconsciemment,
j'essaye d'écrire homme. Pourquoi homme, je n'en sais rien. Quand
tu composes, on a des repères par la casse elle-même, qui sont le
haut de casse et le bas de casse. Quand tu prends un e, tu pars
de là et tu vas à gauche. On est dans un système binaire : tu es
à droite, à gauche, tu es en haut,
en bas.
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L'espacement
: est le blanc qui sépare chaque mot l'un de l'autre. Pour un texte courant
en bas de casse avec capitales aux noms propres et après point, l'espacement
normal a valeur d'un e bas de casse. Si le texte est en capitales il prend
la valeur du E. La valeur du e ou du E n'est pas la même pour un même corps
lorsqu'il s'agit d'un caractère maigre, gras ou étroit, romain ou italique,
ou d'une famille différente.
L'interlettrage : est le blanc modifié pour un typographe qui sépare
entre elles les lettres d'un même mot. Pour chaque caractère le dessinateur
a prévu une certaine distance entre chaque lettre. Cette distance est finement
étudiée pour que dans un même mot se détache aussi bien le i que le m. Cette
distance est respectée par le graveur de poinçon et par le fondeur ; on l'appelle
" l'approche ". Pour un même corps l'approche est différentes d'un caractère
à l'autre. Cette différence dans les approches s'appelle " la chasse ". On
dit d'un caractère qu'il chasse plus qu'un autre. Cela veut dire que dans
une justification donnée (longueur d'une ligne) il y aura plus de lettres
dans le caractère qui chasse moins par rapport à celui qui chasse plus. En
général un caractère romain chasse plus qu'un italique dans la même famille
et le même corps. Pour une page avec le même nombre de lignes on aura avec
le même corps plus de mots en italiques qu'en romain.
Si le typographe glisse une espace entre chaque lettre il y a interlettrage.
L'interlettrage est la modification de la chasse (ou de l'approche)
initiale d'un caractère.
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